Fête de la Saint-Jean
Ancienne et enflammée
Fête de la Saint-Jean, fiche technique (France) :
- date : 24 juin (date fixe)
- type de fête : religieuse
- fériée ? non
- fêtée depuis : la nuit des temps, à l'image du nouvel an
- célébrée : en Europe et dans certains coins d'Amérique du Nord
Qu'est-ce que la Saint-Jean ?
Une fête qui vous est peut-être familière, mais plus probablement inconnue. Elle est dédiée à un saint, mais au vu du nombre de St Jean existants, il vaut mieux être précis : il s'agit de Saint Jean-Baptiste, le cousin de Jésus qui l'a baptisé (comme son nom l'indique) dans l'eau du Jourdain. Supposé être né 6 mois avant le Christ, d'une mère pourtant trop âgée pour enfanter, il est une figure marquante de la Bible.
Puisque le messie est supposé être né un 25 décembre, il n'y a rien de surprenant à ce que la Saint-Jean soit le 24 juin. Simple calcul mathématique.
Oui, mais… encore une fois, l'Eglise chrétienne a récupéré une fête ancestrale, jugée trop païenne, qu'elle ne parvenait pas à faire disparaître.
Les dates ne correspondent donc pas tant aux véritables naissances historiques de Jésus et Jean-Baptiste (dont nous savons peu de choses, l'année même restant un sujet à débat), qu'aux solstices d'hiver et d'été, célébrés par l'humanité depuis la nuit des temps.
Avec un décalage de quelques jours à chaque fois (à partir des 21 juin et 21 décembre), pour que ça reste discret !
Comment est-on passé d'un rite associé aux solstices, à de gigantesques feux dédiés à St Jean, puis à une fête plus connue aujourd'hui dans le monde francophone comme celle de la journée nationale du Québec ?
C'est ce que nous allons voir aujourd'hui !
Une fête païenne…
Avant la chrétienté, les fêtes liées aux solstices existaient déjà partout dans le monde. En Phénicie et en Syrie, la fête commençait la veille au soir et était dédiée au dieu mésopotamien de l'abondance : Tammuz.
En Europe, la fête était avant tout pastorale et agricole ; le feu rituel allumé pour le solstice servait à soutenir le soleil à son apogée, à la veille de son déclin (à partir du 21 juin, les jours raccourcissent). Nous savons de sources sûres que cette fête était particulièrement célébrée dans les pays nordiques et slaves.
A la célébration des moissons s'ajoutait les rituels liés à la fécondité, à l'union conjugale et aux dieux et déesses qui leur étaient associés.
La fête slave était par exemple associée au culte de Kupalo, dieu du soleil, de la réincarnation, de la fertilité et de la purification par l'eau (rien que ça !).
Les peuples slaves le célébraient en portant des couronnes de fleurs, en jetant des herbes dans un grand feu et en dansant autour de ce dernier. La tradition voulait aussi qu'en hommage à Kupalo, le peuple se baigne de nuit dans la rivière pour se purifier. On dit également que les gens se livraient à des plaisirs charnels…
En ce qui concerne l'agriculture et les moissons, une hypothèse scientifique intéressante estime que les feux associés au solstice seraient un héritage culturel d'une tradition encore plus ancienne : protéger les cultures en brûlant des parcelles de terre, ce qui permet d'éviter les bioagresseurs tapis dans le sol ou dans les résidus de culture.
Aussi, il serait possible que les feux associés au solstice d'été remontent aux débuts de l'agriculture, à la préhistoire!
… Récupérée par le christianisme
En Europe et malgré un christianisme bien installé, l'Eglise ne parvient pas à éradiquer cette fête païenne. Elle l'associe tout d'abord à Saint Jean-Baptiste, puisqu'il est une importante figure chrétienne, et la décale de 3 jours, pour la dissocier du solstice.
Puis elle tente d'interdire les feux de la Saint-Jean, mais le constat semble mitigé, au vu des sermons réalisés par Saint Eloi (évêque et conseiller du roi Dagobert) au VIIe siècle :
« Que nul, à la fête de Saint-Jean ou dans des solennités quelconques, ne célèbre les solstices et ne se livre à des danses tournantes ou sautantes, ou à des caraules, ou à des chants diaboliques ».
Oui, le paganisme est perçu comme diabolique. Mais les feux de la Saint-Jean persistent. L'Eglise tente alors une approche différente : associer le feu à la lumière divine et encadrer au mieux cette pratique, en lui ajoutant une période de jeûne et plusieurs messes dédiées à St Jean.
Au IXe siècle, nous savons qu'il y avait la messe de la veille au soir, celle de la nuit du 23 au 24 juin, puis celle du jour même. Aujourd'hui, seule celle du 24 continue d'exister chez les catholiques.
Pourtant, les croyances chrétiennes du Moyen-âge ne semblent pas si loin des croyances païennes ancestrales, dans un contexte où l'on croit dur comme fer que la terre est un lieu de combat permanent entre les forces du bien et celles du mal.
Les feux étaient ainsi allumés aux points de croisement des chemins, dans les champs, pour empêcher que les sorcières et magiciennes n'y passent pendant la nuit.
Pour éloigner démons, foudre et tempêtes, on brûlait aussi des herbes cueillies le jour même, auxquelles on accordait des vertus protectrices grâce à la bienveillance de St Jean-Baptiste.
Mais si l'aspect agricole semble disparaître peu à peu, les rituels liés à la fertilité et à la prospérité persistent.
Dans la Creuse, il fallait tourner 9 fois autour du feu pour espérer trouver un mari ou une femme dans l'année. En Gironde, il fallait jeter une pièce dans le feu et la retrouver dans les cendres pour s'assurer de l'argent toute l'année.
Et dans les régions de l'est de la France, les amoureux devaient sauter par-dessus le feu pour garantir un amour durable. Cette dernière tradition perdure encore aujourd'hui, mais elle est surtout un jeu, qui attire les plus agiles ou les plus téméraires.
Les feux de la Saint-Jean ont perduré dans toute la France jusque dans les années 1990, où des nouvelles lois les ont interdits en raison des nombreux incendies constatées dans certaines zones.
Ils existent encore cependant dans de nombreux endroits, où ils sont très encadrés et de plus en plus gérés par des spécialistes de la pyrotechnie, au lieu des habitants de la région.
A Paris
Etant guide à Paris, je ne peux évidemment pas faire l'impasse sur les feux de la Saint-Jean qui s'y tenaient jusqu'en 1648, lorsque Louis XIV a décidé de cesser d'officier à cette cérémonie. Le roi présidait lui-même la fête, qui avait lieu en place de grève (actuelle esplanade de l'hôtel de ville).
Pour les détails, je préfère prévenir que le paragraphe suivant risque de choquer les plus sensibles, surtout si vous aimez les chats.
Les magistrats de la ville entassaient des fagots au milieu desquels était planté un arbre de 30m de haut, orné de bouquets, de couronnes et de guirlandes de roses.
En haut de cet arbre, on attachait un panier contenant un renard et deux douzaines de chats, tous vivants (malheureusement, véridique). Les trompettes annonçaient l'arrivée du roi, signal de départ pour les échevins et le prévôt des marchands de s'avancer avec leur torche vers le feu. Une torche était tendue au roi, qui allumait lui aussi l'arbre de la Saint-Jean.
Les chats étaient ainsi brûlés vifs au milieu des acclamations de la foule. Une fois le feu éteint, les badauds se ruaient sur les cendres et les tisons, considérés comme des talismans.
Le roi, lui, montait à l'Hôtel de Ville et prenait une collation à base de dragées, de massepains et de confitures.
Heureusement, la pelle Starck au bas de l'esplanade épargne les plus jeunes en évitant de mentionner les pauvres chats sacrifiés chaque année…
dans le reste de la france
Dans la recette classique, les feux sont réalisés à l'aide d'un amoncellement de combustible, dans une zone donnée, considérée comme sécurisée par rapport à la faune et la flore environnante.
Aussi, je ne compte pas m'attarder sur chaque région et ses pratiques, mais deux traditions m'ont paru spécialement dignes d'intérêt.
En Lorraine, à la colline de Stromberg, le feu de la Saint-Jean est réalisé à l'aide d'une roue, qui fascine tous les historiens tant elle semble être la survivance d'un culte solaire très ancien.
Alors qu'on éteint les lumières des villes environnantes, on allume cette roue de feu, d'un diamètre de 2.10m, bourrée de paille et de sarments de vigne, juste en face du château des Ducs de Lorraine de Sierck-les-Bains. Une fois enflammée, la roue dévale la colline et termine sa course dans la Moselle. Un bûcher plus traditionnel accompagne ce spectacle pour un embrasement durable.
En Haute-Savoie, on peut assister à un spectacle d'intérêt autour du Mont-Blanc dans le week-end qui suit la Saint-Jean. Des montagnards des communes environnantes gravissent les cimes de la vallée de l'Arve et attendent les dernières lueurs du jour pour allumer des feux aux sommets de toutes les montagnes de la vallée, qui se mettent ainsi à briller de manière quasi simultanée. D'un point de vue symbolique, ces feux prennent le relai sur les rayons solaires, afin de prolonger la journée la plus longue de l'année.
Le spectacle dure une trentaine de minutes. Les montagnards redescendent ensuite jusqu'aux refuges environnants.
Une opération qui aurait été risquée dans les siècles passées, aussi on comprend bien que cette tradition n'est pas si ancienne, contrairement à l'exemple lorrain, mais remonte au début du XXe siècle.
Enfin, la Saint-Jean regroupait autrefois de très nombreuses coutumes en dehors des feux, avec la confection de couronnes de fleurs pour les jeunes femmes, ou des rites liés à la nature. Aussi, je souhaitais mettre en avant une tradition presque oubliée qui survit encore dans quelques endroits grâce à la mémoire locale et des spécialistes de la question : la fabrication des croix de Saint-Jean. J'ai pu en fabriquer moi-même au sud des Landes, lors d'un stage au cours de mes études.
Ce savoir-faire immémorial consiste à créer une croix de végétaux, que l'on doit normalement faire bénir avant de l'accrocher au-dessus de la porte d’entrée de la maison, à l’extérieur. Cette croix doit protéger du mauvais œil ou des sorcières ; bref, des forces du mal. On doit la garder un an et la brûler à la prochaine St-Jean, au moment où on la remplace par la nouvelle croix, qui viendra protéger le foyer.
Au Québec
Exportée en Amérique lors de la colonisation, la fête de la Saint-Jean est restée proche des célébrations européennes jusqu'au XXe siècle (avec notamment des feux de joie sur les berges du Saint-Laurent), où elle est devenue dans les années 1960 un symbole de l'affirmation nationale québécoise.
Evénement très festif, point de rassemblements politiques, sociaux et culturels, la fête est devenue un symbole de la volonté d'indépendance de la région. Au cours des années 70, les plus importants artistes et intellectuels de l'Amérique francophone soutenaient ouvertement la fête, à l'instar des Irlandais qui mettaient en avant les fêtes de la Saint-Patrick.
En 1977, elle est devenue officiellement la « fête nationale du Québec », bien que la population la surnomme encore « Saint-Jean » la plupart du temps.
Sa célébration est désormais plus proche de celle d'une fête de la musique ou d'une fête nationale, que de la tradition ancestrale des feux de joie.
Ailleurs
En Europe comme en France, la plupart des pays observent les mêmes rites de feux de la Saint-Jean, mais quelques régions se démarquent par leur forme.
A Turin, Jean-Baptiste étant le saint patron de la ville, des événements spéciaux ont lieu chaque année : feux d'artifices, défilés, etc. Une fête locale incontournable.
A Mons en Belgique, la Saint-Jean se célébrait dans les différents quartiers de la ville et les enfants récoltaient du bois pour les feux. Suite à un incendie en 1822, la fête a d'abord été interdite un siècle avant de renaître en 1990, grâce au travail d'une association locale, sous une forme plus moderne : la cérémonie se déroule désormais uniquement sur la Grand-Place de la ville, où quelques 300 figurants et 200 musiciens assurent le spectacle de la soirée. Puis 6 000 personnes munies de flambeaux se rendent en 8 cortèges musicaux au lieu du bûcher, où un final musical accompagne le boutage de feu.
En Espagne, c'est dans la semaine qui précède la Saint-Jean qu'on allume des feux, que les jeunes s'amusent à sauter, pour se purifier et éloigner les maléfices. Le jour J est davantage consacré à la préparation et à la dégustation des spécialités culinaires liées à cette fête.
En Gallice, on mange des sardines rôties dans les braises, avec du pain de maïs (broa), le tout accompagné de vin rouge.
En Catalogne, il est de coutume de manger la Coca de Sant Joan, une galette sucrée censée évoquer notre Saint Jean-Baptiste.
Enfin, certaines régions de France, d'Espagne et de Belgique célèbrent aussi la Saint-Jean d'Hiver, le 21 décembre, qui correspond au solstice d'hiver… mais pas vraiment à Saint Jean-Baptiste ! L'ambiguïté persiste encore aujourd'hui entre les rites immémoriaux du solstice et la Saint-Jean catholique…
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